Si le greenwashing est désormais bien connu du grand public, son opposé, le greenhushing, littéralement « silence vert », l’est bien moins. Problème : ce phénomène, largement pratiqué par les entreprises en France comme ailleurs dans le monde risque de ralentir la transition énergétique. Alors, pourquoi les entreprises se taisent-elles sur leurs actions en faveur du climat ? Et quelles conséquences pour les investisseurs et les citoyens ?
Qu’est-ce que le greenhushing ?
Le greenhushing, c’est la tendance des entreprises à minimiser voire à passer sous silence :
- Leurs initiatives écologiques
- Leurs actions qu’elles réalisent en faveur de la protection l’environnement
- Leur politique RSE
- Leurs progrès en matière d’empreinte carbone et de durabilité.
Le terme « greenhushing », ou « silence vert », ne date pas d’hier, car il est apparu en 2008. Mais face à l’urgence climatique, force est de constater qu’il est plus que jamais d’actualité.
Autrement dit :
- Le greenwashing, c’est trop en dire.
- Le greenhushing, c’est ne rien dire — même quand on agit !
Cela paraît pour le moins paradoxal pour une entreprise de ne pas communiquer sur ses actions en faveur de l’environnement ; et pourtant le phénomène n’a rien d’anecdotique : selon une étude du cabinet South Pole, publiée en 2024, 88 % des entreprises proposant des produits ou services durables communiquent désormais moins sur leurs efforts environnementaux, même lorsque 93 % d’entre elles respectent effectivement leurs engagements écologiques.
Une entreprise qui pratique le greenhushing peut par exemple :
- Choisir de ne pas communiquer sur la réduction de ses émissions carbone,
- Omettre volontairement de mettre en avant un produit plus durable,
- Rester discrète sur ses objectifs ESG (environnement, social, gouvernance) pour éviter d’attirer l’attention.
Problème du greenhushing : même lorsque les actions progressent le discours recule.
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Pourquoi les entreprises pratiquent-elles le greenhushing ?
Même en étant vertueuses, pourquoi les entreprises décident-elles de passer sous silence les retombées bénéfiques de leurs politique RSE ? Il y a plusieurs raisons à cela.
Le greenhushing et la peur de la critique
En France comme partout dans le monde, de plus en plus d’entreprises redoutent d’être accusées de ne pas en faire assez en faveur de la transition écologique, de la protection de l’environnement, de la lutte contre le dérèglement climatique. Résultat : elles préfèrent se taire sur ce qu’elles font !
Plus encore, elles craignent d’être victime de ce qu'on appelle le whataboutism : à savoir cette fâcheuse - voire vicieuse - tendance à pointer du doigt ce qu’une organisation ne fait pas, plutôt que ce qu’elle fait déjà.
Un exemple ? Une entreprise parvient à réduire de 20% son empreinte carbone et communique sur ce résultat. Elle peut immédiatement s’exposer à des critiques diverses sur les autres pans de sa stratégie RSE : gestion des déchets, sélection des fournisseurs etc.
Par conséquent, beaucoup d’entreprises préfèrent se taire pour éviter le risque d’être attaquées sur d’autres fronts. Et c’est bien dommage non ?
Par peur d’être accusées de greenwashing
Autre motif de greenhushing : la crainte de se voir taxer de greenwashing.
En communiquant sur les retombées positives de leurs actions en faveur de la protection de l’environnement, beaucoup d’entreprises craignent d’en faire trop, au risque d’être accusées de faire du greenwashing. Là encore, c’est bien dommage.
Par modestie ou choix stratégique
Certaines entreprises choisissent de pratiquer le greenhushing par conviction morale car elles estiment qu’agir pour le climat ne doit pas être un argument marketing.
D’autres se taisent simplement par stratégie. Elles préfèrent choisir auprès de qui présenter et communiquer leurs bons résultats plutôt que de rendre publiques leurs bonnes actions. Leur communication s’adresse alors à leurs partenaires, à leurs investisseurs, à leurs actionnaires, à leurs équipes ou à leurs clients professionnels.
C’est notamment le cas dans des secteurs sensibles comme l’énergie ou l’industrie lourde, où toute communication environnementale peut être perçue comme une tentative de redorer son image. Et dans ce cas, c’est retour au point précédent : elles se feraient taxer - à tort - de greenwashing.
Par peur de ne pas atteindre leurs objectifs
Pour les entreprises, fixer des objectifs climatiques ambitieux est devenu à la fois la norme et même une obligation. Mais que se passe-t-il lorsque ces objectifs ne sont pas atteints ?
De nombreuses multinationales, après avoir annoncé des trajectoires de neutralité carbone d’ici 2030 suite aux différentes COP, se rendent compte qu’elles n’y arriveront pas dans un laps de temps court.
C’est le cas, par exemple, de Microsoft, qui a annoncé atteindre la neutralité carbone à horizon 2030. Mais, avec l’explosion des usages de l’intelligence artificielle et du digital de manière plus large, son empreinte énergétique a bondi. Conséquence : le géant des GAFAM a depuis beaucoup moins communiquer sur ses engagements environnementaux.
Par un manque de savoir-faire en communication
Dans bien des cas de figure, le greenhushing ne résulte pas d’une volonté de dissimulation, mais simplement d’un manque de savoir-faire en matière de communication RSE. Beaucoup d’entreprises, notamment les PME, peinent encore à maîtriser les codes, le vocabulaire et les outils de la communication environnementale. Faute de compétences internes, elles préfèrent se taire plutôt que de risquer une maladresse ou une mauvaise interprétation.
Quelle différence entre greenwashing et greenhushing ?
Ces deux pratiques semblent opposées, mais elles partagent un point commun : elles faussent la perception qu’ont les citoyens et les investisseurs des efforts réels des entreprises en matière d’action climatique.
|
Greenwashing |
Greenhushing |
Définition |
Surévaluer ou exagérer ses actions écologiques |
Passer sous silence ses actions écologiques réelles |
Objectif |
Séduire le public ou les investisseurs |
Éviter la critique, le bad buzz ou la surpromesse |
Conséquence |
Trompe le consommateur, nuit à la confiance |
Fausse la transparence, freine la transition |
Exemple |
Publicité d’un produit « vert » sans preuve |
Entreprise qui réduit ses émissions mais ne le dit pas |
En somme :
- Le greenwashing est une communication trompeuse.
- Le greenhushing est une absence de communication.
Mais, dans un cas comme dans l’autre, le résultat est le même. Les consommateurs et les investisseurs manquent d’informations fiables pour orienter leurs choix.
Et c’est un vrai problème, surtout à l’heure où la finance durable est plus que jamais un levier essentiel de la transition énergétique et de la lutte contre le dérèglement climatique.
Le greenhushing, un frein à la transition écologique et à la finance durable ?
Si à première vue le greenhushing n’est pas aussi problématique que le greenwashing, la réalité est tout de même autre. Car la pratique ralentit la transition énergétique et la finance durable.
Le greenhushing nuit à la transparence
La transition écologique repose sur plusieurs piliers essentiels tels que :
- La transparence des entreprises sur ce qu’elles accomplissent
- La comparaison des retombées de leurs actions entre elles
- La mesure des progrès réalisés
Or, quand une entreprise se tait sur ce qu’elle fait de bien en matière de transition énergétique, elle prive le marché d’informations utiles.
Par conséquent, les investisseurs, les analystes financiers ou ne serait-ce que les consommateurs ne peuvent plus distinguer les acteurs sincères des opportunistes.
Pour les investisseurs particuliers, c’est un vrai enjeu qui soulève au moins deux questions essentielles :
- Comment savoir si une entreprise mérite sa place dans un fonds ESG ?
- Comment identifier les sociétés qui agissent vraiment pour le climat ?
Le greenhushing brouille les repères. Il rend les investissements responsables plus difficiles à évaluer — et donc, potentiellement, moins attractifs.
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Une perte d’émulation collective
La communication environnementale, quand elle est sincère, basée sur des actions concrètes, crée de la motivation, de la concurrence vertueuse, des partages de bonnes pratiques, bref une émulation collective bénéfique pour la planète.
Mais le greenhushing crée pour sa part une culture de la prudence : on agit sans oser le dire.
Ce mutisme est un vrai sujet puisqu’il risque d’affaiblir la dynamique collective enclenchée ces dernières années autour de la RSE et des critères ESG.
Quand les entreprises ne partagent plus leurs progrès, l’effet d’entraînement tend à diminuer voire à disparaître.
Un danger pour la cause climatique
Pire encore, le greenhushing ne nuit pas seulement à la transparence. il fait peser une menace sur la crédibilité et la nécessité du mouvement européen et mondial en faveur de la transition écologique, de la cause climatique dans son ensemble.
Pourquoi ? Car en rendant moins visible les progrès réalisés et les actions positives menées, cela donne l’impression que finalement rien n’avance, que les entreprises n’agissent pas pour la protection du climat.
Ce silence collectif de la part des entreprises ralentit la prise de conscience du public, démotive les investisseurs pour des supports d’investissement durable et peut contribuer à atténuer l’engagement citoyen.
Et ce n’est pas tout cas il peut également décourager les entreprises, les groupes et les multinationales les plus actives, qui voient leurs efforts passés inaperçus.
Comment éviter le piège du greenhushing ?
Pour les entreprises : miser sur la transparence graduelle
Les experts recommandent aux entreprises de ne pas tomber dans le tout ou rien.
Communiquer sur ses actions écologiques ne signifie pas prétendre être exemplaire.
L’enjeu, c’est de partager honnêtement ses progrès, ses limites, et même ses échecs.
Une communication responsable repose sur trois axes :
- La clarté : expliquer simplement ses objectifs
- La mesure : publier des indicateurs concrets (bilan carbone, consommation d’eau, recyclage…)
- L’humilité : reconnaître que la transition est un processus, pas une perfection
C’est d’ailleurs la philosophie défendue par des acteurs comme Goodvest, société française d’investissement durable, qui milite pour une transparence totale sur les portefeuilles et leurs impacts climatiques.
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Pour les investisseurs : apprendre à décrypter le silence
Pour les particuliers, le greenhushing est plus difficile à repérer qu’un greenwashing.
Mais certains indices peuvent mettre sur la voie :
- Une absence totale d’informations ESG dans les rapports annuels
- Des objectifs vagues ou non mesurables
- Une communication qui met en avant les résultats financiers, mais évite les sujets environnementaux
Un investisseur averti doit apprendre à lire entre les lignes. L’absence de communication est parfois un signal d’alerte. Poser les bonnes questions, comparer les données et s’appuyer sur des labels ou plateformes fiables (comme Goodvest, South Pole, ou Morningstar ESG) permet d’y voir plus clair.
Vers une nouvelle ère de la communication écologique ?
En Europe, le greenhushing est désormais pris au sérieux.
Avec la directive CSRD (Corporate Sustainability Reporting Directive), les entreprises de plus de 250 salariés doivent publier, depuis 2025, des informations détaillées sur leurs impacts environnementaux, sociaux et climatiques.
L’objectif ? Mettre fin au silence et instaurer une culture de la transparence.
Le greenhushing illustre par ailleurs un fait marquant : les entreprises veulent agir, mais redoutent de mal le dire.
Elles se retrouvent prises entre deux feux :
- Celui de la pression publique, qui exige des preuves d’engagement
- Celui de la peur de la polémique, qui pousse au silence
La solution se trouve sans doute dans une approche plus humaine, plus pédagogique : reconnaître que les retombées mettent du temps, mais que les actions sont bel et bien lancées, parler de progrès plutôt que de perfection, et assumer que la transition écologique est un marathon plus qu’un sprint.
Le greenhushing est le miroir inversé du greenwashing : moins visible, mais tout aussi problématique. Il freine la diffusion des bonnes pratiques, brouille la confiance entre entreprises et citoyens, et ralentit la transition écologique.
Pour les investisseurs qui souhaitent réaliser des placements sur des supports durables, le greenhushing leur impose un effort d’informations.